Le livre de la Jungle: entre identité libre et nécessité du désir.

 

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Maugli n’a pas de forme définie avant de pénétrer le monde des humains. Il est une pure potentialité, une puissance morphologique totale. Sa nature est en suspens : sa non intégration dans une communauté humaine au moment de sa naissance le place immédiatement dans une béance ontologique primordiale. Il aimerait pouvoir vivre dans la nature et jouir de tout, jouir sans aucune contrainte de son pouvoir absolu de conformation. Évidemment, cela ne lui est possible que dans la mesure où son « environnement » joue le jeu en l’acceptant tantôt comme un singe, tantôt comme un vautour ou tantôt comme un ours. De fait, contrairement à un lieu commun, la jungle n’est pas en elle-même indétermination (elle possède une luxuriance de formes distinctes et discrètes), mais accepte « l’indétermination » en tant qu’une de ses parties possibles.

Il n’y a qu’un seul élément qui refuse l’exercice de la faculté polymorphique de Maugli : le tigre Shere Khan. Depuis le début du film nous savons qu’il hait les humains et qu’il refusera de jouer le jeu de l’intégration protéenne et de l’exception spécifique qui permettrait à Maugli d’être tout sauf un humain. Cette pression ontologique qu’il exerce met en panique l’ensemble des actants et meut ainsi toute la narration du film : il faut évacuer Maugli, il faut qu’il intègre définitivement le monde des hommes, qu’il devienne homme. Il suffit ainsi qu’un seul se refuse à accepter ce que l’autre se propose d’être, pour mettre en péril la liberté existentielle d’autodéfinition de soi.

Mais il existe une deuxième force in-formante : la force du désir sexuel. Le désir sexuel n’autorise pas un déploiement libidinal aussi libre que le déploiement existentiel. Le désir n’est pas de l’ordre de la liberté ; il est une nécessité, qui, déclarée, force l’individu à une forme précise permettant ainsi sa satisfaction effective. Le désir se met à devenir une réalité seulement sous l’impulsion sensible : lorsque Maugli voit la jeune fille près de l’étang, il prend conscience, hypnotiquement, de la puissance de son désir sexuel. Son désir s’impose donc à lui d’une façon totalitaire et englobante; il ne s’agit plus pour lui d’être un ours, un éléphant ou un vautour mais bien, comme Shere Khan le pensait, un humain et seulement un humain. Shere Khan possède la puissance structurale de mettre en mouvement le récit afin d’expulser Maugli sans toutefois que cette éviction se fasse sous le mode tragique mais bien plutôt sous le mode prophétique (son exigence externe ne fait que préluder l’exigence interne de la libido). Ainsi, l’intransigeance de Shere Khan est paradoxalement une sagesse, la sagesse de reconnaître l’immuabilité du désir, du désir général d’un homme d’être un homme ; désir qui ne pouvait pas ne pas émerger dans l’esprit de Maugli.

Conclusion : Il existe deux facteurs d’in-formation. 1) la puissance informante d’autrui illustré par Shere Khan, et 2) la puissance informant du désir sexuel, ou du désir en général. Ces deux puissances aliènent (on ne peut pas être ce que l’on veut) autant qu’elles définissent (on est positivement quelque chose par rapport à un infini). L’identité réduit mais encadre : par mon identité (décernée ou proclamée) je me prémunis également contre cet infini désindivudualisant. Ainsi le livre de la jungle peut être lu comme un récit de la confrontation entre la liberté définitionnelle de soi et l’altérité sous ses modes interne (désir) ou externe (autrui).

 

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